Les fictions françaises s’autocensurent à mort

Dès qu’un sujet sort des clous, il est effacé. Dès qu’un dialogue sonne trop cru, il est lissé. La fiction française a tiré un trait sur le choc, le tranchant, l’audace. On ne prend plus aucun risque à la télévision. Tout est calibré, propre, prudent. Au nom du « consensus », c’est l’ennui qui règne.

Un grand ménage invisible

Depuis plusieurs années, les scénarios français passent à la moulinette. Dialogue validé, thématique neutre, conflit édulcoré. Les chaînes ont peur. Peur des réactions, des polémiques, des « bad buzz ». Résultat : une fiction française qui s’autocensure à mort, de l’écriture jusqu’au montage.

On efface ce qui pourrait déranger. On ne touche plus aux sujets sensibles — religion, sexe, politique, violences policières, immigration. Même les personnages sont devenus tièdes : ni trop bons, ni trop mauvais. Ni trop drôles, ni trop durs.

C’est ce qu’on appelle la fiction de la prudence. Un format où le téléspectateur ne doit jamais être bousculé.

Des chiffres qui parlent

En 2024, selon le CNC, plus de 80% des fictions diffusées en prime time sur les grandes chaînes (TF1, France 2, France 3, M6) sont des drames familiaux, des comédies policières ou des intrigues légères. Des genres sans aspérité. Les séries comme Léo Matteï, Cassandre, Un si grand soleil, Camping Paradis remplissent les grilles.

Les thématiques sociétales fortes ? Minoritaires.
Les portraits dérangeants ? Invisibles.
Les expériences narratives ? Rares.

Et quand un projet ose un peu plus, il est souvent relégué en deuxième partie de soirée, ou mis directement sur plateforme.

La trouille de la polémique

Les diffuseurs se protègent. Ils veulent du contenu « rassembleur ». Entendez : sans aspérité, sans colère, sans question qui fâche. Il faut éviter les plaintes au CSA, les articles viraux, les hashtags assassins sur X (ex-Twitter).

Il y a dix ans, un Spiral (Engrenages), un Braquo, un Pigalle, la nuit pouvaient encore surprendre, provoquer, déranger. Aujourd’hui, ces séries seraient soit censurées, soit repoussées à 23h.

La récente série Anthracite, diffusée sur Netflix et co-produite en France, a prouvé qu’on pouvait mêler polar noir, traumatisme, secte et tension politique… mais aucune chaîne française n’en voulait. Trop risqué.

Les scénaristes s’adaptent… à contrecœur

De nombreux auteurs et scénaristes témoignent d’un climat verrouillé. On leur demande d’ »alléger » leurs intrigues, de « rendre les dialogues plus soft », de « ne pas heurter les sensibilités ».

« On nous demande de faire du fond… sans jamais aller trop loin », confiait anonymement un scénariste à Télérama en 2023.
« Tout est passé au filtre du politiquement correct. Résultat : on finit par s’autocensurer nous-mêmes. »

Les showrunners les plus audacieux se tournent vers les plateformes comme Netflix, Amazon Prime ou Arte.tv pour échapper à la frilosité des chaînes généralistes.

Les réactions des téléspectateurs : lassitude et désintérêt

Sur les réseaux, l’ennui se fait sentir. Sur X, Reddit ou Instagram, les critiques s’accumulent :

« Encore un polar mou sur TF1… »
« J’ai l’impression de voir toujours la même série. »
« Pourquoi on ne fait pas des trucs aussi puissants qu’aux US ou au Royaume-Uni ? »

Et les audiences le prouvent : les fictions françaises peinent à fidéliser les moins de 40 ans. Ces derniers préfèrent binge-watcher The Bear, The Night Of, ou True Detective, bien plus audacieuses, bien plus modernes.

Une exception ? Arte

Arte reste l’un des rares espaces où la fiction française ose encore. En thérapie, Le Monde de demain, Les Papillons noirs… Ces séries traitent de traumatismes, de violences, de zones grises humaines. Et elles fonctionnent.

Preuve que le public n’a pas peur d’être bousculé. Il en redemande. À condition qu’on lui propose.

À retenir

La fiction française est en train de s’éteindre, non pas par manque de talent, mais par peur. Peur de choquer, peur de perdre un téléspectateur, peur d’un hashtag.

Mais une fiction qui ne prend aucun risque ne suscite aucune émotion. Pas de débat. Pas de mémoire. Pas d’impact.

La fiction française s’autocensure à mort. Et si on laissait les auteurs respirer, une bonne fois pour toutes ?

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