On ne sait plus ce qui passe ni pourquoi. Une tranche fantôme.

À 21h10, on ne sait plus sur quel pied danser. Ni ce qu’on regarde. Ni pourquoi on le regarde.
Le prime-time, ce moment jadis sacré de la télévision française, est devenu un territoire sans repères. Une zone grise. Ni claire, ni assumée.

L’heure de la confusion

Il fut un temps où le prime-time, c’était simple : un film, un grand divertissement, un match, une émission phare. Aujourd’hui ? Le téléspectateur allume sa télé… et se demande s’il est trop tôt, trop tard ou déjà en replay.

Depuis la disparition progressive du 20h50, l’heure canonique a reculé sans jamais se fixer. 21h05, puis 21h10, parfois 21h15. La promesse d’un début précis n’existe plus vraiment. Un jeu qui déborde, un journal qui traîne, une pub qui s’étire… La case reine s’efface dans le flou.

Chiffres à l’appui

Selon les données de Médiamétrie, près de 38 % des programmes démarrent après 21h10 en semaine, toutes chaînes confondues. Une dérive lente mais constante depuis 2018. En cause : la guerre des parts de marché dès le 19h-21h, où chaque chaîne essaie de retenir le public au maximum avant de lancer le « gros morceau ».

TF1, France 2, M6… Toutes ont repoussé discrètement l’heure de début. Et ce glissement s’accompagne d’un phénomène plus sournois : la fragmentation des grilles. Un documentaire morcelé. Une série découpée. Des épisodes qui ne respectent plus leur format. Des émissions qui s’étirent jusqu’à minuit.

Sur la semaine du 3 au 9 juin 2025, plus de 60 % des programmes de prime dépassaient les 2h15, souvent pour combler des cases mal remplies ou faire gonfler l’audience moyenne. Le tout au détriment de la lisibilité.

Une tranche qui ne veut plus dire grand-chose

Le prime-time est censé être un moment clair, identifiable, attendu. Il est devenu un espace de flottement, parfois interminable, parfois bâclé.

Les chaînes misent sur des formats hybrides : mini-séries en deux soirées, jeux de plateau qui se veulent à la fois sérieux et légers, fictions inspirées de faits divers… Et quand ce ne sont pas des émissions recyclées, ce sont des rediffusions habilement camouflées. Résultat : un brouillard éditorial qui rend toute fidélisation difficile.

Les téléspectateurs largués

Sur X (Twitter), les commentaires fusent chaque soir :

« C’est moi ou ça commence jamais à l’heure ? »
« Encore un prime qui traîne en longueur… »
« 3 pubs avant même que l’émission commence, c’est devenu n’importe quoi. »

Les témoignages s’accumulent. Le public est déboussolé. Et ça se voit dans les audiences : les pics se font rares, les démarrages sont mous, et les fins de programme n’accrochent plus.

Une enquête de l’Arcom de mai 2025 montre que plus de 45 % des téléspectateurs actifs entre 20h30 et 22h déclarent zapper fréquemment, sans rester plus de 15 minutes sur le même programme. C’est vertigineux.

Des conséquences concrètes

Le flou du prime impacte tout.

  • Les campagnes publicitaires perdent en efficacité.
  • Les producteurs de fiction peinent à convaincre les chaînes avec des formats clairs.
  • Les journalistes culturels ne savent même plus à quel moment chroniquer une émission.
  • Et pour les plateformes de streaming, c’est du pain bénit : les déçus du linéaire migrent vers Netflix ou Prime Video dès 21h00.

Le prime-time devait être le cœur battant de la télévision. Il est en train de devenir son point mort.

Le mal vient de plus loin

Ce brouillage n’est pas une erreur technique. Il résulte d’un choix éditorial. Chaque chaîne tente de jouer à la fois sur tous les tableaux : fidéliser les retraités, séduire les jeunes, plaire aux annonceurs. Mais à force de vouloir tout faire, elles n’assument plus rien.

Le prime devient une façade, une illusion de rendez-vous. Derrière, c’est du remplissage. Des recettes qu’on recuit. Des formats étirés comme du chewing-gum. Une grille pensée à court terme.

Et pourtant, le public est toujours là

Le plus tragique ? Le public, lui, répond toujours présent. Malgré la confusion, malgré les retards, malgré l’impression de perdre son temps. Il zappe, râle, mais revient. Par habitude. Par lassitude aussi.

Le prime-time aurait pu évoluer. Se réinventer. Proposer une vraie alternative aux plateformes. Au lieu de ça, il se dilue. Et avec lui, toute une idée de ce que la télévision pouvait encore offrir.

À retenir

Le prime-time n’est plus un repère, mais une zone floue, sans début clair ni fin assumée.
Ce flottement éditorial fragilise les chaînes traditionnelles, perd les téléspectateurs, et pousse un peu plus chaque soir vers le streaming.
Un virage mal négocié qui pourrait coûter cher à l’ensemble du paysage audiovisuel français.

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